Retour aux articles

Action féministe et exhibition sexuelle : caractérisation de l’infraction mais relaxe

Pénal - Droit pénal spécial
Civil - Personnes et famille/patrimoine
27/02/2020
Exhibition sexuelle, protestation politique et exercice de la liberté d’expression. La Cour de cassation a dû se positionner sur le comportement d’une ex-Femen dévoilant sa poitrine dans un musée à Paris. Elle a tranché : infraction oui, condamnation non.
Une femme se présente au musée Grévin dans la salle dite « des chefs d’État ». Elle retire son haut, dévoilant sa poitrine avec écrit « Kill Putin ». Après avoir planté un pieu métallique pour partie dans la statue de cire du président russe, elle la fait tomber en déclarant « fuck dictator, fuck Vladimir Poutine ».
 
Interpellée, elle revendique son appartenance au mouvement dit « Femen ». Ce qui donne à son geste le caractère d’une protestation politique.
 
Elle est poursuivie devant le tribunal correctionnel pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui, qui la condamne. Prévenue et ministère public interjettent appel.
 
La cour d’appel a rendu un arrêt, censuré par la Cour de cassation qui renvoie la cause et les parties devant une cour d’appel autrement composée. La prévenue est relaxée pour le délit d’exhibition sexuelle mais déclarée coupable pour celui de dégradations volontaires du bien d’autrui.
 
En effet, les juges du second degré retiennent que « la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relève de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Le mouvement « Femen », revendiquant un féminisme radical, est adepte des opérations seins nus avec des messages politiques. Cette action s’analyse pour les juges comme un « refus de sexualisation du corps de la femme et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité ».
 
Aussi, pour la cour d’appel, « le regard de la société sur le corps des femmes a évolué dans le temps, et que l’exposition fréquente de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle, ne donne lieu à aucune réaction au nom de la morale publique ». Même si certaines actions du mouvement ont déjà été sanctionnées pour atteinte intolérable à la liberté de pensée et religieuse, celle en question « n’entre pas dans un tel cadre et n’apparaît contrevenir à aucun droit garanti par une prescription légale ou réglementaire ». Pour rappel, la Cour de cassation s’est prononcée le 9 janvier 2019 (Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 17-81.618, P+B) sur la caractérisation de l’exhibition sexuelle et sur la recevabilité de la constitution de partie civile d’un curé dans le cas d'une activiste « Femen » qui avait dévoilé sa poitrine dans une église. Celle-ci avait été condamné.
 
Au cas particulier, le procureur général près la cour d’appel de Paris décide de former un pourvoi en cassation. Ce dernier conteste l’arrêt, considérant qu’il y a défaut ou contradiction de motifs et manque de base légale.
 
La Cour de cassation (Cass. crim., 12 févr. 2020, n° 18-23.573, P+B+I) va alors censurer l’arrêt de la cour d’appel concernant l’exhibition de la poitrine qui n’entre pas dans les prévisions du délit encadré par l’article 222-32 du Code pénal, dans le cas où l’intention est dénuée de toute connotation sexuelle.
 
Néanmoins, les hauts magistrats décident de ne pas retenir la censure et rejettent le pourvoi en estimant « qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ».
 
Concrètement, l’exhibition sexuelle est constituée mais non punissable. En effet, la militante féministe qui décide de montrer sa poitrine dans un musée est passible de poursuites pour exhibition sexuelle. Pour autant, lorsque cette action s’inscrit dans une démarche de protestation politique et que l’incrimination, au regard de la nature et du contexte du comportement en cause, constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression, la relaxe n’encourt pas la censure.
Source : Actualités du droit